Un syndicat peut-il intervenir en politique ?
LIBREVILLE (Equateur) – Les avis sont divergents à ce sujet, car certains syndicalistes estiment que oui, tandis que d’autres pensent le contraire.
Depuis quelques semaines, l’actualité nationale est marquée par des appels à la vacance du pouvoir de certains leaders politiques et des membres de la société civile. Fait étonnant, Dynamique unitaire (DU) qui est un regroupement des syndicats des travailleurs du secteur public et parapublic, est également rentrée dans la danse.
Lors de sa conférence de presse du mercredi 27 mars dernier à la Chambre de commerce de Libreville, le président de DU, Jean Rémy Yama, a clairement dans sa déclaration, fait allusion à la vacance du pouvoir. « (…) il est clairement établi qu’Ali Bongo Ondimba est sérieusement diminué, ne dispose pas de toutes ses capacités cognitives, et donc n’est plus capable d’assumer les charges inhérentes à la fonction de président de la République », avait déclaré M. Yama, avant d’ajouter « C’est pourquoi la confédération syndicale Dynamique unitaire affirme solennellement que nous n’avons aucun élément irréfutable qui prouverait qu’Ali Bongo Ondimba est vivant et apte à diriger ».
Des propos qui ont choqué plusieurs syndicalistes, qui s’étonnent du positionnement actuel du président de DU, qui d’après eux, n’agit plus en tant que syndicaliste mais d’homme politique. C’est le cas du secrétaire général du Syndicat autonome des personnels des Affaires sociales (SAPAS), Pierre Mintsa, qui soutient que les syndicats en général sont des organisations apolitiques, conformément aux dispositions des statuts et règlements. « L’objet des syndicats, c’est l’amélioration des conditions de vie des travailleurs et la défense des droits et intérêts de ces derniers. Et les partis politiques concourent à l’expression du suffrage pour la prise du pouvoir politique. », a-t-il confié.
Toutefois, estime Pierre Mintsa, les responsables syndicaux peuvent intervenir en politique en leur qualité de citoyen, et non avec l’étiquette syndicale, car les syndicats sont des partenaires du gouvernement. Un point de vue partagé par Fridolin Mvé Messa, président de l’Union des syndicats des administrations publiques, parapubliques et privées (USAP). « Vraiment je n’ai pas de jugement à donner. Ce que je sais, c’est que le syndicat défend les intérêts des travailleurs gabonais et exerce un contrôle citoyen sur l’exécution des politiques publiques. Le syndicat est le partenaire du gouvernement avec qui, il négocie et signe des protocoles d’accord », a-t-il martelé.
Corroborant le positionnement de Pierre Mintsa et Fridolin Mve Messa, le président du Syndicat national des greffiers (SYNAGREF), Georges Boupenga, rappelle qu’un syndicaliste devrait rester dans son rayon d’intervention, qui est clairement définie par la loi. « L’objectif visé par le syndicat c’est d’améliorer le bon fonctionnement et le bon rendu de l’administration. Si maintenant on outrepasse cela, et qu’on voit d’autres vues qui n’ont rien à voir avec le syndicalisme, j’estime que là on ne fait plus du syndicalisme mais de la politique. Dans ce genre de cas, on ne peut plus se réclamer être syndicaliste, on prend maintenant une couverture d’homme politique. Pour ma part un syndicaliste ne devrait pas faire de la politique. Il a un rayon d’intervention qui est clairement définie par la loi », a-t-il insisté.
Pour sa part, le président du Syndicat des médecins fonctionnaires gabonais (SYMEFOGA), Dr Adrien Mougougou, estime que la frontière est mince entre le champ d’intervention des syndicalistes et celui des politiques qui ont la responsabilité de régler les problèmes des travailleurs. Aussi, s’interroge-t-il de savoir, si les syndicalistes peuvent amener les politiques à régler les problèmes de leurs adhérents, sans s’assurer que ces politiques sont bien présents et valides.
Une interrogation du président du SYMEFOGA, qui pourrait expliquer l’intrusion de DU dans l’arène politique et qui demande d’être rassurée sur les capacités cognitives du président gabonais à continuer de diriger le pays, au risque d’une déclaration de vacance du pouvoir. Effectivement, pour Jean Rémy Yama, hormis les questions sociales et économiques, sa centrale syndicale comme les autres syndicats, est habilitée à se prononcer sur toutes les questions politiques.
Pour justifier ses allégations, le président de DU s’appui sur le décret n°1086/PR/MCEILPLEI du 14 décembre 2004, portant création, attribution et organisation du Conseil national de la bonne gouvernance, notamment l’article 4 qui consacre la présence de deux représentants syndicaux comme membres. Mais aussi sur la page 9 des ‘’Lignes directrices sur la liberté d’association et de réunion en Afrique’’, adoptées lors de la 60ème session ordinaire de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, qui s’était tenue à Niamey au Niger du 8 au 22 mai 2017.
« La page 9 déclare ceci : La société civile se compose d’associations formelles et informelles, indépendantes de l’Etat à travers lesquelles les citoyens peuvent poursuivre des buts communs et participer à la vie politique, sociale et culturelle de leur société, et être impliqués dans toutes les affaires concernant la politique générale et les affaires publiques », a déclaré M. Yama, pour montrer qu’un syndicat peut intervenir en politique.
Au regard de tout ce qui précède, il semble évident qu’un syndicat ne se limite donc pas qu’à la défense des intérêts sociaux économiques de ses adhérents, mais il peut également intervenir dans la vie politique d’un Etat tel que le montre la page 9 des ‘’Lignes directrices sur la liberté d’association et de réunion en Afrique’’. Cependant, que signifie donc intervenir dans la vie politique d’un Etat ? Nous y reviendrons !
Levi NGOMA